Pour une relation client d’adulte à adulte

18 mai 2017 | Par
Claire Gauzette décrypte les nouvelles tendances de la relation client d'adulte à adulte

Dans la relation client, les phénomènes de défiance, réactance, résistance des consommateurs face aux différentes technologies et stratégies marketing sont devenus une réalité.

En témoignent les mouvements de consommation responsable, modes de vie alternatifs, et autres discontinuités d’usages pour échapper à la surveillance généralisée et aux sollicitations commerciales envahissantes (les « ad blockers », par exemple). Cette défiance se nourrit des articles et appels à vigilance diffusés par les sites institutionnels comme la CNIL (dénonçant Facebook et sa politique variable de protection de la vie privée ou le système Windows 10 et ses collectes intempestives de données par défaut) ou les blogs et sites d’information (ex : Pokémon Go, la société Niantic et la géolocalisation).

Une différence élémentaire dans la relation client: de la quantité à la qualité

Ces points doivent conduire les entreprises à réfléchir à la façon dont elles établissent leur relation client et à la façon dont elles l’entretiennent ensuite. Naturellement, le mouvement des Big ou Smart Data et le développement du métier de Data Scientist tendent à faire croire que des pépites se cachent dans les déluges de données aujourd’hui disponibles ou captables. Pourtant, depuis déjà plusieurs années, les chercheurs appellent à la pondération et au discernement, en rappelant une différence élémentaire entre quantité et qualité, en soulignant que l’accessibilité des données n’implique pas que leur collecte soit éthique, et en pointant que les espoirs de finesse, d’exactitude et de prédictibilité peuvent être déçus…

Le pape du marketing, Philip Kotler s’alarmait déjà en 1972 de ce que les stratégies à courte vue, peu respectueuses du client, ne finissent par se traduire dans les urnes par un vote conservateur plus protecteur du citoyen-consommateur-individu. Il pointait là que la sphère commerciale n’est pas abstraite du social et que les pratiques commerciales et marketing au sens large contribuent à façonner elles aussi ce qui fait société, autrement dit ces pratiques disent quelque chose de notre façon de vivre ensemble…

Quelques années plus tard, afin de mieux comprendre comment le consommateur fait face aux tentatives de persuasion publicitaire, les chercheurs Marian Friestadt et Peter Wright (1994) proposent un modèle explorant les savoirs et connaissances du consommateur/client en matière de persuasion. En effet, la relation ne s’instaure pas in abstracto mais dans un cadre où le client a construit, au fil de ses expériences de consommation, un savoir qu’il mobilise pour évaluer les tentatives de persuasions.

Ce savoir se compose de trois blocs : le savoir quant aux techniques de persuasion, le savoir afférent à l’agent qui tente de persuader (ses caractéristiques, qualités, compétences, intentions, etc.) et le savoir concernant l’objet pour lequel une tentative de persuasion est déployée (le produit, le service, etc.). Naturellement, ces savoirs peuvent avoir pour effet d’accroitre le scepticisme et la défiance du consommateur/client mais, soulignent récemment les chercheurs Matthew Isaac et Kent Grayson (2015), ils permettent également d’orienter et d’informer plus finement le consommateur/client pour sélectionner les indices les plus pertinents et dignes de confiance et pour prendre de meilleures décisions.

Envisager le client en tant qu’individu

En matière de relation client aussi le client forge des savoirs techniques, agentiels et thématiques au fil de ses interactions avec l’entreprise, la marque, le produit, ses représentants et plus largement avec les autres marques, produits, distributeurs, et les autres clients, etc.

Prendre conscience de ces savoirs du client conduit à le ré-envisager en tant qu’individu et non en tant que vecteur de données dans une base et donc à réajuster la relation – éventuellement – nouée avec lui. Cela incite à sortir d’une logique asymétrique de pure séduction / persuasion.

Ces savoirs confèrent au client de véritables compétences, ainsi qu’un libre-arbitre qui est régulièrement négligé parce qu’il n’est même plus pensé. Dans une société où les développements technologiques permettent de plus en plus une réification du client au travers des données générées et collectées, il est urgent d’imaginer des relations plus matures et équilibrées, d’adulte à adulte, en travaillant sur des éléments factuels, un authentique dialogue, un respect profond qui pourrait aller jusqu’à se traduire par l’absence de sollicitation, la légèreté des contacts, l’absence de contraintes pernicieuses.

Pourrait-on rêver à une inversion de la relation client ? Avec, à l’avenir, une relation établie non à la suite de tentatives, sans cesse renouvelées, souvent subreptices, d’entrée en contact mais établie délibérément par le client voire pilotée (ou pas !) par ce dernier ?

Par Claire Gauzente